Biologiste et microbiologiste de formation, Huma Khamis a débuté sa carrière professionnelle dans la recherche avant de collaborer à des projets d’enseignement à distance dans le domaine de l’eau et de l’environnement à l’Université de Genève et à celle de la Suisse italienne.
En 2004, elle rejoint la Fédération romande des consommateurs (FRC) où elle a tout d’abord exercé comme collaboratrice scientifique puis en tant que responsable des tests comparatifs et journaliste scientifique RP dès 2006. En juillet 2013, Huma Khamis a intégré l’équipe de l’émission de radio CQFD de la RTS.
En juin 2015, elle rejoint également le comité directeur de l’Association Suisse du Journalisme Scientifique (SKWJ/ASJS). En juin 2020, l’Association a publié une lettre ouverte aux médias suisses pour souligner les compétences fondamentales des journalistes scientifiques pour décrypter l’actualité scientifique.
Huma Khamis plaide pour un journalisme scientifique systémiquement pertinent et indépendant dans les médias généralistes – une spécialisation dont l’importance doit être reconnue et renforcée au-delà de la crise du COVID-19.
Découvrez son parcours ainsi que le rôle prépondérant du journalisme scientifique, en temps de crise mais pas seulement.
Pouvez-vous décrire le parcours qui vous a menée à devenir une scientifique, puis une journaliste ? Qu’est-ce qui/ou qui/ vous a aidée dans vos choix professionnels ?
Sans doute une curiosité naturelle depuis l’enfance. Beaucoup ont pensé que je deviendrai médecin. Or, j’étais plus intéressée à comprendre la médecine qu’à soigner les personnes. Je me suis ainsi orientée vers la biologie. Mes années d’études à Genève ont été passionnantes. J’ai poursuivi avec un master [un diplôme] en épidémiologie au Tessin – une immersion qui s’avère plutôt utile en cette période de pandémie même si, en tant que journaliste scientifique, j’ai mis à jour mes connaissances pour l’occasion.
Suite à mon master, j’ai travaillé dans la recherche et me suis vite rendue compte que me spécialiser à un tel point dans un domaine ne me plaisait pas vraiment. Je me suis ainsi tournée vers l’enseignement à distance, aux prémices de ce type de pratiques dans les universités suisses. À la fin du projet, j’ai décidé de quitter le monde académique. Sans thèse, je ne voyais pas de possibilités d’évolution dans ce milieu.
J’ai rejoint la Fédération romande des consommateurs (FRC) où j’ai pris la responsabilité des études comparatives de produits durant dix ans.
Je me suis ensuite finalement retrouvée à la radio avec cette curiosité naturelle toujours bien ancrée tout comme le plaisir de découvrir, de comprendre et de raconter.
« Nice to have » les journalistes scientifiques ?
Dans beaucoup de domaines – en économie, en sport, en politique – bénéficier de journalistes spécialisés est considéré comme normal. En science, cela n’a jamais été une évidence – surprenant. Certains journalistes scientifiques – comme Eric Schärlig [ il avait par exemple couvert l’alunissage en 1969 pour la Gazette de Lausanne et la RSR ] – ont bien sûr marqué les esprits.
Je suis cependant toujours étonnée que la science soit reléguée au rang d’un divertissement. Pourtant, les avancées scientifiques ont changé le monde. La science est une composante importante de la société.
L’idée que la science n’est pas une vraie spécialité du journalisme est répandue – les journalistes scientifiques ne sont pas ou sont peu perçus comme des spécialistes – sauf ponctuellement, comme maintenant en temps de pandémie.
Nous sommes en mesure de comprendre, de trouver les bons interlocuteurs pour commenter un sujet. Nous sommes des spécialistes, pas forcément des experts. Un fait tout à fait accepté pour d’autres spécialités mais qui l’est peu pour la science [ or combien de journalistes non spécialisés en sport peuvent commenter un match de hockey en direct ? ]. Lire une revue scientifique demande des compétences spécialisées. Une lettre ouverte où des médecins soulèvent une question (p.ex. sur la transmission par les particules fines du virus), ce n’est pas la même chose qu’un résultat obtenu dans un laboratoire dans des conditions contrôlées ou des mesures faites sur le terrain. Il est essentiel de comprendre dans quel contexte les scientifiques s’expriment.
Il y a en effet deux poids deux mesures en termes de publications scientifiques [ à propos de trottinette ], les spécialistes savent reconnaître la qualité des papiers auxquels ils sont confrontés et posent un regard critique sur les études dont ils rendent compte. La pandémie a montré l’importance de savoir faire la différence entre un avis, une étude, une communication par des institutions et des publications scientifiques de plus ou moins bonne qualité. C’est loin d’être une mince affaire avec entre 25’000 et 40’000 articles publiés [ voir plus désormais ] sur ce thème depuis le début de la crise du COVID-19.
Devenir journaliste scientifique du jour au lendemain, ce n’est pas si évident. Et même lorsque nous sommes rodés à l’exercice, il est parfois ardu. Il m’est arrivé, dans une même journée, de comprendre pourquoi les physiciens ont émis l’hypothèse de la matière noire puis qu’elle n’existe pas [ la nouvelle avait fait grand bruit dans l’univers des astronomes, nous vous avons retrouvé l’émission : et la question est du reste toujours débattue entre les experts ].
Notre travail de fond consiste en outre à connaître les acteurs, le paysage scientifique d’une région. La Suisse romande est extrêmement riche dans le domaine. Nous devons avoir une idée sûre des différents domaines de recherche, quelles sont les compétences des chercheurs, vers qui se tourner pour obtenir de l’information et des conseils. Tout cela est très important et nous devons également veiller à ne pas forcément nous adresser à celle ou celui qui parle le plus fort.
Lors de cette crise mondiale, certains ont accéléré leurs recherches dans le domaine en toute bonne foi, d’autres surfent sur la vague. À nous de faire la part des choses.
Quelles sont les particularités des journalistes scientifiques ?
Finalement, ce sont les mêmes que pour n’importe quelle autre spécialité : une bonne connaissance des enjeux et une capacité très fine d’analyse. Le nombre de pages science dans la presse écrite n’a eu de cesse de diminuer, un savoir-faire s’est donc perdu en conséquence. C’est le même problème du côté de la radio/télévision. Nous avons pu observer une baisse des postes dédiés au journalisme scientifique exclusivement ces dernières années. La pandémie de COVID-19 a entrainé une réflexion autour du besoin d’expertise scientifique, avec une augmentation des effectifs. Au moins un point positif à cette épidémie !
Dans l’émission CQFD dédiée à la science et à la santé, du jour au lendemain, 50% du contenu a été consacré au COVID-19 (contre 25% du contenu habituellement lié à l’actualité scientifique), avec une activité de sentinelle (un poste à 100% durant sept semaines), chargé de la cohérence et de la priorisation des thèmes abordés. Au total, plus d’une centaine de sujets ont été diffusés dans CQFD. Pour pouvoir avoir une telle réactivité, il faut évidemment des journalistes experts ou tout du moins familiers avec les enjeux liés à la science.
Cette même réflexion s’est faite dans la presse écrite. Je suis optimiste sur le fait que de nouveaux postes vont être créés, pérennisés. Mais pour combien de temps ?
Les médias généralistes aussi doivent pouvoir traiter de science. Cette pandémie a montré qu’il fallait être prêt – en journalisme aussi.
Le journalisme scientifique est toujours pertinent car la science avance toujours.
Après neuf saisons de CQFD, nous sommes d’ailleurs loin d’avoir épuisé les sujets. Souvent, l’audimat fait que les sujets doivent toucher les gens. Sélectionner les sujets qui parlent aux gens est délicat. On part du principe que la santé est un sujet dont la plupart des gens se soucient, mais la curiosité de chacun·e est difficile à définir et à réduire à quelques thèmes clés : LA Science est vaste !
Comment le journalisme scientifique contribue-t-il à la société ?
Démocratiser la science est très important. Trop longtemps, les savants sont restés d’un côté, le peuple de l’autre, lui qui n’avait soi-disant pas le niveau pour comprendre. C’est inacceptable. La recherche, la science appartient à tout le monde. Chacun doit avoir son mot à dire. Sans forcément influencer la recherche – les processus fonctionnent somme toute assez bien – mais pour la comprendre et la questionner.
Les questions qui émanent de la société ne doivent jamais être taboues. C’est essentiel. La société doit faire des choix technologiques, voter. Elle est aussi confrontée à énormément de fake news, de théories du complot, de remise en question de la science.
Le journaliste scientifique relaie les questions de la société, fait la part des choses entre la science et la pseudo science. Il comprend la démarche scientifique et comment la connaissance se construit au fil du temps. Pour l’heure, c’est assez mal compris. La pandémie nous montre aussi que les connaissances scientifiques de base dans la population sont très variées. Il est donc essentiel de s’adresser à chaque citoyen en fonction de ses connaissances.
Avec la pandémie de Coronavirus, la population s’est rendu compte que la science est un processus évolutif, que la connaissance d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Nous avons assisté en direct à la construction du savoir – la science s’est accélérée sous nos yeux. Les savants ne savent pas tout – beaucoup sont tombés des nues. L’évolution sémantique de « savant » à « chercheur » est à ce titre intéressante.
Je me souviens d’une discussion captivante durant la préparation d’une émission avec Samia Hurst – à l’école, lors des cours de sciences, les élèves apprennent des faits mais pas comment on les a compris, comment on procède pour savoir, quelles sont les méthodes des scientifiques ?
Les cursus scientifiques sont peut-être trop scientifiques – ils s’extraient de la société -, et peut-être que la société a tendance à mettre au ban la science. La science a un impact sur la société, tout cela devrait être un peu plus tricoté.
Qu’attendez-vous des scientifiques en termes d’information ?
En général, nous sommes extrêmement bien reçus par les scientifiques. Les chercheurs sont ravis de partager leurs savoirs dans la majorité des cas. Parfois, nous ressentons de la méfiance car dialoguer pour un rendu d’une phrase dans un article ne les intéressent pas. Dans le cas de CQFD et de la radio, avec dix à vingt minutes de discussion, c’est différent. Le travail du journaliste est aussi d’extraire l’information, de la rendre digeste, de trouver des analogies. Rien n’est inexplicable au public. Avec le temps nécessaire, tout doit être compréhensible.
Nous voyons passer les communiqués de presse, nous parcourons les sites Internet, nous savons aussi où trouver l’information. Lors des discussions avec des chercheurs émergent souvent d’autres idées de sujets. Nous ne manquons jamais d’inspiration !
Quelle est votre définition d’une bonne relation entre les services de communication et les journalistes scientifiques ?
Une bonne réactivité de part et d’autre. De notre côté [les journalistes], le respect des délais est un impératif pour rester proche de l’actualité.
Je nous considère comme des voisins de pallier, nous nous donnons des nouvelles mais nous n’habitons pas ensemble.
Nous ne sommes pas le porte-voix des institutions mais attendons des réponses [parfois] rapides. Les services de communication peuvent être une porte d’entrée pour atteindre un chercheur, mais nous avons aussi d’autres portes d’entrée : d’où l’utilité d’avoir une bonne connaissance du paysage scientifique et de ses acteurs.
Les services de communication sont cependant souvent un intermédiaire pour centraliser les demandes. Les HUG par exemple ont réalisé un travail remarquable au point fort de la pandémie.
Les services de communication sont des partenaires. Nous effectuons un métier différent. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de faire la différence entre un communiquant et un journaliste. Il y a beaucoup de confusion actuellement, autant en termes de formation que d’information. C’est notamment le cas parce que certaines institutions lancent leur propre plate-forme de communication. Si c’est une bonne chose pour rendre la science accessible à tou·te·s, il est essentiel de comprendre la différence entre une communication et un travail journalistique apportant un regard extérieur.
Si vous deviez encourager la relève à se frayer une voie dans le journalisme scientifique, que lui diriez-vous ?
J’espère sincèrement qu’il y ait plus de journalistes scientifiques à l’avenir. Il y a suffisamment matière à traiter de manière quotidienne de science dans les médias. Cela doit être une hygiène médiatique si je puis dire. Lorsque des fake news circulent, des informations farfelues, le public doit pouvoir faire la part des choses. C’est indispensable. Nous ne devons plus nous permettre de ne pas avoir de science dans les médias – d’autant plus après ce que nous venons de vivre.
Soyez curieux, ayez le plaisir de découvrir, de garder des yeux d’enfants, innovez ! N’ayez pas peur des questions innocentes. La science n’est pas plus compliquée qu’autre chose, chacun a le droit de s’y intéresser.
En revenant sur votre parcours, feriez-vous quelque chose différemment ? Ou quel piège conseilleriez-vous à la relève d’éviter ?
Je verrais peut-être plus grand. J’aurais plus tôt confiance en mes capacités dans mes multiples carrières. Il faut faire la paix avec ses choix. Oser, nous n’avons rien à perdre. Il s’agit de suivre son intuition.
Une anecdote à partager avec nous sur votre chemin en tant que femme en science, en tant que journaliste scientifique ?
En biologie, j’ai évolué avec beaucoup de femmes. Je n’ai pas énormément souffert des clichés. En outre, mes parents m’ont toujours dit que tout était possible. Un entourage favorable aux études, ouvert, qui a envie qu’en tant que femme nous soyons autonomes, c’est primordial.
Je suis très optimiste pour les dix à quinze prochaines années en ce qui concerne la parité. Il y a de plus en plus de femmes dans les filières scientifiques, et cela va commencer à se répercuter sur les postes à responsabilité.
C’est possible, et les femmes autant que les hommes qui soutiennent cette évolution sont essentiels à l’équation. Ce n’est qu’en étant optimiste que les sociétés évolueront.