Le 20 novembre 2020, plus d’une cinquantaine de scientifiques ont répondu présent·e·s à notre invitation à l’événement « Relations des scientifiques avec les médias ».
Nous avons eu le grand plaisir d’accueillir Aurélie Coulon, Dr en biologie et journaliste scientifique à la RTS, Fabrice Delaye, doté d’un Master en Science and Technology Studies de l’EPFL et journaliste scientifique pour Heidi.News, et Eugène Schön, spécialiste en communication, le correspondant pour la Suisse Romande chez Startupticker.ch.
Ils ont exprimé leurs points de vue, leurs besoins et leurs contraintes face à l’information scientifique. Ensuite, nous avons ouvert une séance interactive de questions-réponses. Cette conférence en ligne fut une belle occasion de clarifier les attentes de chacune des parties et d’échanger sur la manière de construire un environnement favorable à l’information scientifique.
Les échanges furent passionnants et constructifs et nous vous proposerons d’autres discussions de ce type à l’avenir. En attendant, nous avons confié le compte-rendu des interactions à Valérie Beauverd, journaliste RP. Nous avons eu grand plaisir à la lire.
Excellente lecture à vous et au plaisir de lire vos commentaires.
Les journalistes sous le microscope des scientifiques et vice versa
Quelles sont les attentes des chercheurs et des médias en matière d’information scientifique ? Pour tenter de répondre à cette question, l’agence de communication scientifique Radar RP a organisé une conférence en ligne sur ce thème, le 20 novembre dernier. Deux journalistes, un spécialiste en communication et plus d’une cinquantaine de scientifiques ont participé à cet échange franc et constructif.
Depuis neuf mois, l’actualité scientifique se résume essentiellement au Covid-19. Pourtant, le dialogue autour de l’information scientifique va bien au-delà de la crise sanitaire que nous traversons actuellement. Les attentes des chercheurs et des médias se révèlent parfois complexes.
Mais qu’est-ce qu’une information scientifique ? A-t-elle la même signification pour un public d’experts que pour un large public ? Comment les journalistes décident-ils de la pertinence d’une information ? Soucieuse de populariser les recherches scientifiques, l’agence Radar RP a invité trois journalistes scientifiques à débattre de ces questions avec une audience de scientifiques issus des domaines public et privé.
À chacun son agenda
Premier constat, les agendas des scientifiques et des journalistes diffèrent. Docteure en biologie et journaliste scientifique au sein de la rubrique actualité de la RTS, Aurélie Coulon indique que les temps de l’actualité quotidienne sont relativement courts. « En général, préparer un sujet pour le téléjournal prend une journée », explique-t-elle. Nos demandes peuvent paraître pressantes, car nous avons rapidement besoin des experts pour évaluer une information ou une publication. »
Qui dit télévision, dit forcément image. Là aussi, les journalistes comptent sur la disponibilité des scientifiques pour réaliser une interview filmée. Elle doit avoir lieu si possible dans les heures qui suivent. « Nous allons retenir vingt à trente secondes d’interview et cela peut paraître frustrant », considère Aurélie Coulon. À cela s’ajoute le tournage, c’est-à-dire la séquence cinéma, où la journaliste va mettre en image la personne qu’elle interviewe. Il peut s’agir par exemple d’une interaction dans un laboratoire avec d’autres intervenants. « Le produit final est un sujet en images ; il doit tenir entre une et deux minutes », précise-t-elle.
Reporter scientifique pour le média en ligne romand Heidi.news, Fabrice Delaye conduit quant à lui des enquêtes sur plusieurs semaines. « Si le Washington Post publie un article complet à propos de la mise sur le marché du vaccin Pfizer, nous n’allons pas hésiter à le reprendre et le commenter, indique le journaliste. En revanche, nous chercherons à établir un focus original sur la même thématique, comme le fonctionnement du vaccin ARN. Je vous garantis que ce n’est pas si simple à comprendre. »
Produire des informations claires
Un impératif : à tout prix éviter le jargon scientifique. Quand on s’adresse à un large public, l’effort de vulgarisation est important. Si le travail scientifique a ses exigences et ses propres spécificités, Fabrice Delaye invite les chercheuses et les chercheurs à prendre du recul par rapport à leurs travaux. « La plupart des recherches sont très spécialisées, indique-t-il. Il faut pouvoir se demander dans quel contexte elles interviennent et arriver à l’essence même de ce qui sera communiqué. Si une idée n’est pas claire, il y a un problème. »
Quant à Aurélie Coulon, elle estime que la qualité de la communication s’exerce au fil du temps. « J’invite toutes les personnes qui sont des expertes et des experts à s’exprimer. J’invite les femmes en particulier à oser prendre la parole. »
Travailler dans l’intérêt du public
Lorsqu’elle décide de couvrir une actualité scientifique, Aurélie Coulon réfléchit toujours en fonction de l’intérêt du public. « Nous recevons énormément de communiqués de presse d’études précliniques pour des médicaments. Je suis particulièrement attentive à ne pas donner de faux espoir. » Hors crise du coronavirus, la journaliste reste en effet prudente sur les premières phases des essais cliniques et préfère attendre des résultats à plus large échelle. « Dans le contexte lié au Covid-19, c’est un peu différent, reconnaît-elle. « Il y a tellement d’attentes et de questions. Nous suivons les différentes étapes des évolutions par rapport aux médicaments et aux vaccins. »
La pandémie du Covid-19 l’a démontré : l’expertise des scientifiques est prépondérante. « Nous essayons de tirer au clair ce qui se dit chez les scientifiques. En tant que journaliste, nous ne pouvons pas affirmer qu’une technologie est meilleure qu’une autre. Nous devons rendre compte des résultats et les expliquer. C’est pourquoi, nous avons besoin des scientifiques pour cadrer le sujet », insiste Fabrice Delaye.
Mais comment sélectionner les informations scientifiques ? Selon le journaliste d’Heidi.news, les scientifiques aident déjà les journalistes dans la curation. « Trente mille articles en neurosciences sont publiés chaque année, qui peut lire tout ça ? s’interroge Fabrice Delaye. Si une chercheuse ou un chercheur de Genève fait la une de Nature, c’est sûr, cela va attirer notre attention. Mais cela ne signifie pas que l’article à la page 45 du magazine n’est pas important. » Les universités et les centres de recherche jouent donc un rôle important pour filtrer l’information. Par ailleurs, un réseau social comme Twitter est un filtre extrêmement utile pour suivre l’actualité scientifique.
Identifier les étapes de la vie d’une entreprise
Correspondant romand pour la plateforme Startupticker.ch, Eugène Schön mise sur la proactivité des scientifiques pour informer les médias. Pour ce faire, il travaille étroitement avec Innosuisse, l’agence qui promeut l’innovation en Suisse. « Nous publions cinq à six news par jour en lien avec le monde de l’entrepreneuriat, de l’innovation et des start-up », assure le spécialiste en communication. Avec plus de 10 000 abonnés à sa newsletter, dont 40% de lecteurs étrangers, Startupticker.ch se concentre essentiellement sur l’actualité des jeunes entreprises basées en Suisse.
« Au cours de sa vie, une entreprise va connaître différentes étapes. Il est important pour un scientifique, par exemple, d’identifier à quel stade son entreprise se situe et de le communiquer », indique Eugène Schön. Le spécialiste en communication cite d’ailleurs plusieurs exemples capables d’attirer l’attention des médias comme le lancement d’un nouveau médicament, les résultats d’un test, l’obtention d’un prix ou la signature d’un contrat avec un nouveau partenaire.
Par ailleurs, le communiqué de presse permet d’avoir des informations générales pour ensuite prendre contact avec l’entreprise. « Nous sommes curieux et nous essayons d’être très réactifs tout en gardant un sens critique, poursuit Eugène Schön. En général, je privilégie les relations avec les fondateurs d’une entreprise. J’ai beaucoup de plaisir à discuter avec eux, car ils sont le plus à même de raconter et d’expliquer l’historique de leur projet. »
Savoir créer l’exclusivité
Cependant, ces contacts se construisent au fil du temps. « Si vous avez une relation de confiance avec un journaliste, vous pouvez lui glisser que vous avez un papier extraordinaire qui va sortir. Si c’est une exclusivité, le journaliste va vouloir être le premier à la publier », relève Fabrice Delaye. Créer ces relations prend du temps. Dans cette mise en contexte, le journaliste insiste sur la dimension émotionnelle d’un article. « Nous ne pouvons pas rester sur des aspects purement mécaniques. Derrière une recherche scientifique, il y a une histoire, il y a des gens. », indique le journaliste d’Heidi.news. Je trouve passionnant de comprendre comment les chercheurs sont arrivés à ces résultats et pourquoi ils se sont intéressés à tel ou tel domaine, mais cela doit être incarné. C’est ce qui va nous permettre de relier les scientifiques à notre audience. »
Great article at the crossroads between science and media. In my experience, scientists have a lot of content and journalists now have to opt for short format as the readers zap. Breaking down a lifetime effort into a 5 minutes video or article has become an art !!! The curation of scientist or the curation of a journalist on a given topic is unlikely to bring the same results. Filters are also subjective, that is the beauty of it. While news must be timely, more in-depth analysis and added-value opinions can also play a role, even if the audience gets smaller. Something worth exploring as well is the “authority level” on a given topic. Having anyone talk about a serious topic like COVID19 can create so much noise, this does not help, and because of that we can’t hear the scientific experts any more. With deepfake and fake news, scientific media and fact checkers will surely play a vital role in the future.