Du 22 novembre au 3 décembre, la ville de Genève organisait la première édition de la Semaine du Climat. Débats, ateliers ou encore projections de films ont permis aux citoyen·ne·s de mieux cerner les enjeux climatiques et les solutions à leur disposition pour réduire leur empreinte carbone. Retour sur la table ronde ; regards croisés sur l’éco-anxiété.
Genève, Uni-Dufour, U259, la veille du Black Friday. Cette petite salle d’une vingtaine de personne contraste fortement avec l’immense auditoire U600, bondé, où, deux semaines auparavant je suis restée figée sur place devant le discours pessimiste et notoire de Jean-Marc Jancovici. Vaccinée par ses propos, je me suis préparée à affronter cette angoisse, teintée tantôt de rage, tantôt d’impuissance.
Allez, prends ton courage à deux mains ou plutôt malaxe bien ta balle anti-stress. C’est parti pour 1h30 d’apnée dans les abysses de l’urgence climatique et celles de ma peur irrationnellement rationnelle.
La proximité et les sourires du panel, l’audience composée pour la majorité des « late Millenials » et des « Gen Z », avec quand même une toute petite poignée – mais vraiment toute petite – de « Baby Boomers » – n’en déplaise à notre chère Greta Thunberg –, font presque oublier les discours alarmistes qu’on s’apprête entendre. À la bonne franquette, entre deux apéros, lançons les festivités avec : Dominique Bourg, philosophe et professeur en sciences de l’environnement, François Ansermet, pédopsychiatre à l’UNIL, Sarah Koller, spécialiste en éco-psychologie, Solange Zongo, co-directrice de Swiss Youth for Climate, et Loïc Deslarzes de l’AGPSY en tant que modérateur.
Dominique Bourg ou le « bad cop » de la bande
Dominique Bourg a prêché les converti·e·s – oui, il n’y avait que des converti·e·s dans la U259 – en mettant en lumière les phénomènes que l’humain n’avait pas prévus avec le réchauffement climatique. Les impacts, tels que les pyrocumulus résultant de méga-incendies, les canicules marines dévastatrices ou les canicules impactant les graines – donc notre alimentation –, la faune et la flore marine et nous, – mais ça c’est accessoire pour Total, n’est-ce pas ? – ont été présentés comme des phénomènes inédits et redoutables.
Et ces dimensions souvent sous-estimées du dérèglement climatique ne peuvent être arrêtées, sauf peut-être par – roulements de tambours – : la réduction de nos émissions de CO2.
Dominique Bourg a aussi pris soin de taper sur les doigts du GIEC, puisque leur communication traditionnelle – le fameux argument des degrés – produit un discours totalement déconnecté des préoccupations de tous et toutes – oui, la majorité des humains surconsommera demain lors du Black Friday –. Or, il faut agir maintenant ! S’angoisser maintenant ! Car, sinon, c’est l’asile immédiat sur la Planet B, qui n’existe pas !
Le serment d’Hippocrate de François Ansermet
En tant que pédopsychiatre, François Ansermet a exploré l’éco-anxiété chez les jeunes, qualifiant cette préoccupation croissante « d’éco-lucidité ». Certes, la dépression et les idées suicidaires sont bien présentes chez les plus jeunes éco-anxieux – et il faut les prendre au sérieux –. Cependant, il fait aussi l’éloge de l’élan créatif de l’angoisse, soulignant que cette émotion peut être à la fois paralysante et stimulante. Selon lui, il faut reconnaître l’angoisse et en faire quelque chose d’inédit.
Il pointe cependant du doigt celles et ceux qui sont dans le déni – celles et ceux qui ne sont pas angoissés par l’urgence climatique – comme les institutions internationales, qui annoncent un futur catastrophique, alors qu’il est maintenant ce futur.
François Ansermet a appelé à une reconnaissance de l’angoisse comme une force pour le changement, plaidant pour une « clinique de l’urgence climatique » qui traite cette angoisse de manière constructive plutôt que délétère. Et c’est le courage et les yeux ouverts sur le présent, sans l’angoisse pétrifiante et le déni, qui permettra cette « clinique de l’urgence ».
L’humour noir de Sarah Koller
Sarah Koller a fait le deuil de sa possible vie de maman, un sacrifice égoïste pour certains, – petite pensée à Salomé Saqué, confrontée à une vague de critique pour son choix similaire – un sacrifice héroïque pour d’autres. Elle a apporté une perspective éco-psychologique, soulignant les incohérences entre les discours sur la protection de l’environnement et les actions concrètes – la COP28 on y croit ? –.
Pour elle, l’écoanxiété est la pointe de l’iceberg, qui cache deux problématiques : la matrice économique de la croissance – bonjour, la surproduction et la surconsommation – et la déconnection de l’humain face au vivant – parce que, c’est bien connu l’humain se croit supérieur aux autres êtres vivants –.
Développons un peu sa lecture économique de l’éco-anxiété qui met en avant cette dichotomie entre le modèle du développement durable et celui de l’économie écologique.
- Le modèle du développement durable prend en compte trois dimensions – la responsabilité écologique, la solidarité sociale et l’efficacité économique – de manière équivalente, équilibrée, et intégrée, tout en tenant compte des limites des capacités des écosystèmes mondiaux.
- Le modèle de l’économie écologique, pour sa part, est une économie imbriquée dans les cycles de la nature, ralentie, locale, et sobre. À la lumière de ce nouveau paradigme, la décroissance des pays riches apparaît non plus comme une fatalité ou une contrainte mais comme une nécessité éthique et physique et une voie de justice sociale et d’égalité.
Faites vos jeux, pour ma part j’ai le sentiment que le modèle économique du développement durable est devenu un tant soit peu archaïque.
Solange Zongo : l’expérience de la jeunesse face à l’écoanxiété
Solange Zongo a partagé l’expérience de la jeunesse face à l’éco-anxiété, soulignant la polycrise actuelle, qui englobe les aspects climatiques, politiques et migratoires. Elle a mis en lumière les inégalités intergénérationnelles, comme les discours et la volonté des jeunes qui sont peu, voire pas pris en considération dans les instances de décisions – on lui souhaite d’ailleurs un peu plus de succès à la COP28 –.
Elle a tout particulièrement légitimé la diversité des émotions ressenties par la jeunesse – colère, tristesse, sentiment d’impuissance, rejet ou déni – tout en rappelant que cette jeunesse est loin d’être homogène – les différents contextes socio-économiques et les différentes conséquences sur la santé impactent leur écoanxiété –. Des solutions concrètes ont été présentées, axées sur l’identification des émotions – en s’écoutant et s’informant sur le sujet –, l’action courageuse et l’engagement au sein de communautés – se recentrer sur soi, agir au quotidien, renouer avec le vivant et faire fonctionner l’imaginaire –.
1h30 plus tard, j’étais certes en position latérale de sécurité devant cette exploration profonde et multidimensionnelle de l’éco-anxiété, qui soulignait la nécessité d’une compréhension collective et d’une action immédiate devant l’urgence climatique. Mais je n’étais pas la seule dans la salle. J’ai d’ailleurs recroisé des amitiés de longue date, qui sont toujours autant engagées pour la cause climatique et ça, ça apaise la tension exercée sur ma boule anti-stress.
Jennifer Leprédour