Sans elle, notre duo de communicatrice passionnée de science et de scientifique passionnée de communication n’existerait pas. Leila Pamingle possède l’art de la mise en relation.
Dans le cadre de l’Association Ecoparc dont elle est la directrice, Leila Pamingle concrétise le développement durable. Sur la base de son expérience de plus de 20 ans, Ecoparc a la vision d’ensemble du domaine et du marché et sait ce qui va ou non fonctionner : un précieux atout à solliciter. Le travail de son équipe dynamise l’ensemble du secteur.
Leila connecte les individus et les entreprises avec brio, nous n’en sommes que l’une des innombrables preuves. Cette brillante ingénieure a construit son chemin, fait des choix en fonction de ses intérêts et impératifs du moment. De l’apprentissage à l’ingénierie jusqu’à l’entrepreneuriat et au EMBA, Leila se considère comme un « pur produit du système éducatif suisse ».
Découvrez le parcours d’une femme humble, reconnaissante et laissez-vous guider par son énergie. À partager sans modération.
Pouvez-vous décrire le parcours qui vous a menée à devenir ingénieure ? Qu’est-ce qui/ou qui/ vous a aidée dans vos choix professionnels ?
Je suis un pur produit du système éducatif suisse [rires]. À 14 ans, j’ai débuté mon parcours par un apprentissage de laborantine en chimie dans une grande entreprise spécialisée dans les arômes et les parfums. Le rêve ! J’ai toujours adoré mélanger des éléments, parfum, shampoing, dans ma jeunesse à la maison, tout y ai passé. Cet apprentissage a constitué une véritable école de vie et professionnelle. Cette époque a vu émerger le début des passerelles avec les hautes écoles spécialisées HES, les écoles d’ingénieures. À la fin de mon apprentissage, j’ai ainsi eu le loisir de décider de ma prochaine étape, avec déjà en mains une vraie profession. C’est tout l’intérêt de l’apprentissage.
Toujours suivant mes intérêts, j’avais ainsi le choix : l’Université, une école d’ingénieurs en chimie à Genève ou à Fribourg ou une HES en Agro-alimentaire à Sion. La perspective de créer les produits alimentaires du futur me captivait particulièrement. Dans les années 2000, les alicaments – des aliments avec une valeur ajoutée liée à la santé –, étaient à la mode et cela me plaisait. J’ai ainsi réalisé une maturité professionnelle en un an, une passerelle qui m’a permis de rejoindre l’École d’ingénieures de Sion. J’en ai tiré une très belle expérience en immersion dans une nouvelle ville, un nouveau canton, un nouvel environnement. Dans ma volée, nous étions autant de femmes que d’hommes. Au début de ma formation, je n’ai ainsi ressenti aucune discrimination de genre. En chimie, en agroalimentaire, en biotechnologie, l’équilibre est assez bon.
À partir du moment où je faisais un choix, mes parents m’ont toujours soutenue, c’est une chance. Ils n’auraient par exemple pas accepté que je commence des études par dépit.
Mon père avait aussi choisi la voie de l’apprentissage puis est devenu ingénieur et ma mère avait embrassé la voie d’experte comptable. Avoir débuté à l’heure où les passerelles entre les voies de formation s’ouvraient, c’était une bonne temporalité.
Jusqu’à ce stade, la représentation des genres était équilibrée dans votre environnement professionnel, cela a-t-il changé par la suite ?
Lorsque j’ai commencé ma vie professionnelle dans de grandes entreprises pour me perfectionner et devenir aromaticienne, j’ai évolué dans un environnement où beaucoup de femmes occupaient les postes de cadre moyen. À ce niveau, elles étaient nombreuses. Plus haut malheureusement, elles étaient plus rares. Mais à ce moment-là, au bas de l’échelle, je ne voyais pas cet échelon. Dans ma perspective, j’ai sans doute ouvert les yeux plus tard. Surtout, étonnement, en ayant suivi des études avec un ratio de femmes et d’hommes plutôt à 50/50, je me considérais comme un garçon. Dans mon esprit régnait le sentiment que les filles n’étaient pas capables.
Comment votre mission contribue-t-elle à la société ?
J’ai récemment vécu un tournant dans ma carrière, je viens de terminer mon EMBA en gestion du développement durable. Mes expériences professionnelles m’ont amenée à vouloir mener une mission avec du sens. Pouvoir mettre à disposition des aliments positifs pour les personnes m’animait beaucoup dans ma vie d’ingénieure au départ. Avec cette reconversion, je crée du lien entre les différentes personnes et structures pour permettre d’arriver ensemble vers des solutions plus durables. L’optimisation des processus, la modélisation sont dans l’esprit de l’ingénieure. L’idée : comment trouver une solution pour aider les gens à mieux collaborer ensemble.
Comment convainquez-vous les investisseurs ?
C’est un défi. Par le passé, dans d’autres postures, je n’ai jamais eu à parler d’argent. En tant que femme, on ne nous apprend pas à parler d’argent, et en tant qu’ingénieure, on apprend à faire des économies, pas à argumenter pour lever des fonds. Changer de positionnement n’est pas évident. En réalisant un EMBA dans une école de gestion, je suis allée à l’encontre de ma posture initiale, je me suis mise dans d’autres situations. La réputation d’Ecoparc – développée par mes prédécesseurs – est excellente et nous avons des soutiens de longue date ; ils connaissent la qualité de notre travail et leur soutien demeure. Le processus de fixation des tarifs est par exemple désagréable de mon point de vue, mais il s’apprend. Les bénéficiaires de nos prestations ne sont pas nos clients, mais le travail que nous effectuons pour les soutenir vaut son prix.
Paradoxalement, l’une des grandes forces d’Ecoparc est notre posture associative. Oui, nous sommes une association active dans le développement durable et oui, notre travail de qualité, nécessaire et utile a un coût. Nous effectuons une veille de terrain, proche de l’impact local, et d’information et connaissons parfaitement l’état du marché. Nos connaissances sont détaillées et spécifiques aux habitants de tels ou tels endroits. Les gens ont la tête dans le guidon, ils travaillent en silo. Nous avons la vision d’ensemble et notre travail – certes peu visible – dynamise l’ensemble du secteur, nous savons ce qui va ou non marcher en fonction de notre expérience.
J’aime notre posture associative – notre proposition non marchande. Elle permet de rencontrer des personnes, de discuter, de trouver des solutions.
Notre grande force est la mise en relation pour que les personnes avancent ensemble vers des solutions concrètes. Avec 20 ans d’expérience, des collaboratrices en or, nous avons créé un réseau à haute valeur ajoutée.
“Fake it until you make it”
Cette citation de Amy Cuddy dans son TED TALK, résonne beaucoup pour moi. Le syndrome de l’imposteur est l’un de mes défauts que je n’ai pas eu de peine à identifier. Je me suis rendu compte qu’il est ancré chez moi. C’est une faille bloquante que l’on s’impose nous-même. Aujourd’hui, je sais reconnaitre l’imposteur et couper court à ses élans malveillants. A contrario, j’ai construit un environnement bienveillant avec Ecoparc.
Quel est selon vous le rôle des relations publiques dans le soutien des missions de développement durable et comment les utilisez-vous dans votre propre stratégie ?
« Si on travaille bien, cela va se savoir », c’est une maxime que j’estime plutôt suisse, un défaut. Travailler sur son image est très important. Je ressens parfois la pression de devoir communiquer, car promouvoir une image est peu cohérent avec mon identité. Ainsi, il est important de savoir s’entourer de personnes dont la communication fait partie de leur ADN. Nos relations publiques, nous les gérons surtout dans des événements, des prises de contact. Notre expertise dans le domaine des questions environnementales et aussi reconnue et les médias pensent à nous lorsque le thème est sur la table.
Observez-vous des différences majeures dans la manière dont la science est soutenue en Suisse ou à l’étranger ?
Difficile de parler de LA Suisse. D’un canton à l’autre, les disparités de priorités sont monumentales. Les Pays du Nord restent toujours une source d’inspiration. Sur la place des collaborateurs, sur la façon dont les femmes envisagent le travail, ces pays sont très en avance sur la Suisse. Nous nous en inspirons. Ces systèmes économiques efficients prouvent que cela fonctionne. Le fédéralisme a ses avantages et ses inconvénients, la rapidité de la mise en œuvre est très en décalage avec l’urgence de la cause. En outre, la plupart des points d’accroche sont basés sur l’environnement, tous les aspects sociaux sont malheureusement relégués au deuxième plan. Nous voulons créer des échanges avec les associations, y compris celles qui effectuent du travail social.
Si vous deviez encourager des jeunes filles à suivre votre voie, que leur diriez-vous ?
L’ingénierie, c’est fun ! [rires]. Vraiment, c’est rigolo, un métier de passion. J’ai adoré évoluer dans un laboratoire, entourée de grandes machines et en mesure de produire, de créer quelque chose. J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui ne m’a jamais dit qu’un métier est soit pour les garçons soit pour les filles. J’aime résoudre des problèmes et le métier d’ingénieure m’a comblée en ce sens.
En revenant sur votre parcours, feriez-vous quelque chose différemment ? Ou quel piège conseilleriez-vous aux jeunes femmes d’éviter ?
J’aurais voulu ouvrir plus vite les yeux sur la réalité du monde professionnel dans lequel j’évoluais. J’ai rejoint des entreprises plutôt bienveillantes. J’étais tellement jeune dans mon parcours que la discrimination de genre ne m’a pas heurtée. J’ai vécu une révélation assez brutale lorsque je suis tombée enceinte. Toutes les personnes autour de moi m’ont dès lors demandé comment j’allais faire après, une question qu’elles n’ont jamais posée à mon conjoint. J’ai vécu les premiers jugements sur mon choix de continuer à travailler. J’ai dû me battre et justifier mon envie de travailler.
J’ai toujours été passionnée par mes différents postes et ce que j’ai fait. Je n’ai pas assez observé le contexte dans lequel j’étais. Je n’ai pas assez travaillé à identifier mes futures envies professionnelles. Avec le recul, j’aurais créé un plan de carrière, évalué ce qui existe comme genre de postes. Néanmoins, je suis ravie de mon parcours car j’ai exercé plein d’activités différentes et je suis très heureuse actuellement. Les jeunes devraient être davantage encouragés à dresser des plans de carrière.
En tant que femme en science, en tant que CEO, avez-vous une anecdote à nous raconter ?
Dans l’un de mes postes professionnels, j’ai été responsable de la recherche et du développement. Un jour, l’un de mes supérieurs m’a dit « Toi, tu travailles tellement bien que tu pourrais être un mec ». Sur le moment, j’ai été hyper fière de ce « compliment ». Plus tard, je me suis demandé quel avait bien pu être le problème dans ma tête pour avoir imaginé qu’un homme est mieux qu’une femme ! Le cliché de l’ingénieure un peu garçon manqué a certainement influencé mon jugement. Cette vision que professionnellement, mieux vaut être un homme, m’a quittée il y a environ 5 ans. En tant que cheffe d’entreprise, j’ai par hasard toujours engagé des femmes, je ne doute ainsi aucunement de la compétence féminine.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que le message aux filles « tu peux étudier ce que tu veux » passe souvent et bien. Il devrait à mon sens évoluer rapidement en « tu peux devenir professionnellement qui tu veux ».
Devenir maman ou non. Travailler ou non. Faire les deux ou non. Nous devons casser les mono-voies dans lesquelles les femmes sont catégorisées et jugées. Une maman à la maison ne doit pas être accusée de trahir la cause féministe tout comme une femme non mère ne doit pas être accusée de ne pas être épanouie sans la maternité.