On cherche de plus en plus à protéger les langues. D’une part parce que chaque nation possède immuablement au moins une langue nationale qui lui est propre, puisque ancrée dans la construction nationale et liée à son territoire, à son histoire et à son héritage culturel. Et d’autre part, parce que le langage parlé est un des traits humains les plus importants et les plus précieux, bien qu’il amène aussi son lot de préoccupations.
Et même si chaque langue cherche son autonomie linguistique, il reste toujours utile de sonder les points communs les unissant toutes, avec le dessein de créer des moyens de communiquer de manière optimale, donc justes et rapides, entre différentes cultures et différents pays. Dès lors, la langue est devenue un sujet de recherche, non seulement au niveau régional ou national, mais également au niveau international.
Avec le recul, nous savons qu’une traduction automatique, c’est-à-dire une traduction d’un texte entièrement réalisée par un programme informatique, n’est jamais aussi fiable qu’une traduction attribuée à un professionnel de la traduction, pour des raisons liées à la complexité du langage humain, à la terminologie et à la grammaire et, le plus souvent, au contexte. Il se peut pourtant, grâce aux progrès technologiques, que l’ordinateur produise une traduction d’une qualité comparable à celle faite de main humaine, et ce en un temps record. Il faudra cependant nécessairement qu’un traducteur vérifie la qualité du résultat.
Est-il opportun d’opposer les systèmes de traduction automatique aux traducteurs (spécialisés) ?
À mon avis, lorsqu’il est question de traduire un texte plat, terne et sans style, DeepL produit de meilleures traductions que celles faites par un humain. DeepL représente ainsi le parfait choix pour des textes directs et sans fioritures et c’est pour cette raison qu’autant d’organisations (en 2019, WWF, Amnesty, etc.) et de gouvernements se servent de cette technologie au sein de leur service linguistique(Confédération suisse, etc.) [1]. Pourtant, ils doivent toujours faire appel à un traducteur professionnel quand il s’agit de repérer les erreurs de sens et de mise en page. Comme l’avait déjà précisé Pierrette Bouillon dans Le Temps (01.08.19) : « La traduction [avec DeepL] est d’une grande fluidité et ne contient pas forcément d’erreurs grammaticales. Mais il faut avoir des compétences bilingues pour repérer les problèmes de fidélité au texte original ». Le système Lucy se trouve aussi être un plutôt bon programme, mais il tombe trop souvent dans de nombreux pièges. D’autres systèmes (Open et SMT, notamment) montrent quant à eux des résultats qui ne conviennent pas la plupart du temps, puisque leurs traductions sont souvent fausses ou incompréhensibles, voire extravagantes.
Pourquoi alors faire appel à l’humain ?
Il est toujours utile, voire important, de s’en remettre aux compétences d’un traducteur spécialisé à l’interne, en particulier lorsqu’il s’agit de traduire des articles scientifiques dont les résultats sont susceptibles d’intéresser plusieurs zones linguistiques. Et pour ce faire, une machine n’est que difficilement à même de reproduire le savoir-faire et les connaissances d’un traducteur professionnel en chair et en os, et ce d’autant plus lorsque ce dernier verse dans un domaine de spécialisation pointue.
Si un logiciel de traduction générera certes sa version traduite automatiquement en un clin d’œil, et un traducteur professionnel généraliste pourra produire un texte de qualité, un traducteur spécialisé, par ses connaissances linguistiques et ses talents rédactionnels d’une part, et de l’autre grâce au savoir approfondi relatif à son domaine de prédilection qu’il est censé maîtriser sous tous ses aspects, donnera le jour à une traduction non seulement des plus fidèles à l’original en ce qui concerne le sens et le message délivré, mais respectant aussi la morphosyntaxe et l’idiomaticité de la langue cible. Une qualité que la rigueur scientifique apprécie.
Une manière de procéder, qui rencontre actuellement un grand succès et qui tend à se généraliser depuis plusieurs années, consiste à faire usage d’un programme de traduction automatique et à en réviser le résultat traductionnel en vue d’en adapter le contenu, soit là où le logiciel aurait travesti le sens premier voulu par tel ou tel passage du texte source, soit aux endroits auxquels il n’aura pas décelé la singularité et l’idiomaticité de la langue source.
Il n’est pas si inhabituel qu’il faille retravailler dans son entièreté le texte traduit automatiquement ; et là se pose la question des bienfaits apportés par une telle méthode : ne se révèle-t-elle finalement pas plus chronophage que la méthode classique, à savoir texte source + dictionnaires ? Le fait de devoir corriger un texte et de le comparer à l’original ne finit-il pas par être plus pénible que la méthode éprouvée dont les traducteurs, qu’ils soient professionnels ou en herbe, se servent depuis l’invention de l’écriture ?
La « langue de la science » étant en principe l’anglais, quelles sont les conséquences qu’a cette langue sur la traduction des informations issues de la recherche ?
Là où le style rédactionnel, et par conséquent traductionnel propre aux textes scientifiques diffère intrinsèquement des textes littéraires ou plus généraliste, c’est qu’il ne vise pas à « bien sonner ». Son but principal étant la transmission d’une information spécialisée et exhaustive, dont le contenu, voire la syntaxe et la phraséologie, se révèle souvent inintelligible pour le profane (d’où le recours à la vulgarisation).
Ce côté abscons, si ce n’est parfois franchement cacographique, est la plupart du temps dû d’une part au fait que les scientifiques ne sont pas des écrivains et n’ont tout bonnement pas étudié les lettres, et de l’autre dû au fait qu’ils ne sont généralement pas de la langue maternelle dans laquelle ils rédigent leurs articles, à savoir plus de 90 % du temps l’anglais [2]. En effet, l’anglais est depuis au moins cent quarante ans la lingua franca dans le domaine des sciences ; l’écrasante majorité des publications scientifiques étaient auparavant rédigée en français, qui jouissait alors d’un statut privilégié auquel nulle autre langue que le latin n’avait depuis plusieurs siècles accédé, place que l’anglais international occupe désormais. Du reste, la langue française ne représente aujourd’hui plus que quelques 10 % de la littérature scientifique, contre près de 30 % il y a cent quarante ans, et bien plus encore avant cela. [3]
Quelles conclusions peut-on donc en tirer ?
Que les scientifiques doivent rédiger eux-mêmes leurs comptes rendus et autres analyses, s’accompagnant des erreurs stylistiques inhérentes à un tel exercice, force immanquablement le traducteur spécialisé en science et en technique à devoir s’adapter encore plus qu’un traducteur généraliste, et bien plus encore qu’une machine qui sera sans doute tentée de « recracher » verbatim les formulations rencontrées dans le texte source.
Comme la traduction spécialisée, et en particulier celle ayant trait aux sciences requiert de la rigueur et des connaissances préalables profondément étendues, il semble dès lors évident qu’un traducteur qui d’une part est instruit dans le domaine des sciences, et qui, de l’autre, a fait une spécialisation dans une telle matière, sera à même d’accomplir un travail, espérons-le, des plus minutieux et mieux exécuté.
Un article de Byron R. Afshar.
[1] Florian Delafoi (1er août 2019 )« Le traducteur DeepL part à la conquête des entreprises suisses » in : Le Temps https://www.letemps.ch/economie/traducteur-deepl-part-conquete-entreprises-suisses
[2] R. E. Hamel (2007) « The dominance of English in the international scientific periodical literature and the future of language use in science » In : https://www.semanticscholar.org/paper/The-dominance-of-English-in-the-international-and-Hamel/e4e248576d802bf079905b987a58302bfdbe8ac9