Yann Bernardinelli est docteur en neurosciences, cofondateur de la coopérative romande d’entrepreneur·e·s salarié·e·s neonomia et délégué du bureau de l’égalité d’un pôle de recherche du fonds national suisse. Il est aussi vulgarisateur scientifique. Comme nous, il a les astrocytes comme étoiles préférées. Comme nous, il est très attaché aux thématiques des sciences – notamment des neurosciences – et à celle de la santé mentale.
Comme le dit Yann, « Nos sociétés ont longtemps opposé santé physique et santé mentale ». Avec lui en tant qu’invité, nous vous livrons le premier de nos articles d’une série dans laquelle nous abordons ce sujet d’intérêt public.
Nous profitons en outre du rôle de Yann dans la promotion de l’égalité pour aborder la question fondamentale de la promotion de la diversité dans le milieu académique.
Découvrez le riche parcours d’un allié engagé à un avenir durable qui fait fi des stéréotypes de genre.
Quel est ton parcours professionnel ?
J’ai commencé par la chimie. Je suis entré à l’École d’ingénieurs de Genève à 15 ans, c’était possible à l’époque. Cinq ans après, mon diplôme d’ingénieur en génie chimique en poche, j’ai réalisé que ce métier ne me plaisait pas vraiment. J’ai alors pensé à l’Université et à la biochimie.
Le mélange entre ingénierie et biochimie était prometteur, plus moderne et, je le pensais, m’ouvrirait davantage de possibilités d’emploi. J’ai donc complété mes études par un Master en biochimie à Dublin et y ai appris l’anglais, un indispensable pour les scientifiques. En revenant en Suisse, malheureusement, cela a été la déconvenue : personne ne voulait m’engager. Et, peu inspiré par la recherche fondamentale, c’est presque par dépit que j’ai débuté une thèse.
Pourtant, je suis entré en neurosciences et la passion est née ! J’ai fait une thèse sur les astrocytes sous la direction de Pierre Magistretti et Jean-Yves Chatton et j’ai trouvé cela absolument fascinant, certainement aussi grâce à ces deux personnalités stimulantes.
Une bourse du Fonds national suisse de la recherche scientifique m’a permis par la suite d’enchaîner avec un post-doc au Canada. Nous sommes partis en famille, avec notre fils, et nous sommes rentrés en Suisse avec un membre de la famille en plus, notre fille. J’ai décroché une bourse européenne puis un poste de maître assistant à l’Université de Genève – un poste limité à cinq ans.
Avant son terme, mon ex-femme et moi avons pris le temps de la réflexion. Elle avait un poste stable en Suisse, qu’elle aimait, tandis que pour moi, dans la recherche, l’avenir se dessinait essentiellement à l’étranger et dans une succession de postes de courte durée. Nous avons donc décidé que j’arrêterai la recherche et j’ai réorienté ma carrière.
Comment s’est articulée cette reconversion ?
J’ai beaucoup travaillé, assisté par une coach de carrière. Je connaissais mes valeurs et savais où je ne voulais pas aller. J’ai réfléchi au champ des possibles avec tout ce que j’avais déjà appris. C’est là que l’idée m’est venue de pratiquer le journalisme et la communication scientifique.
Je me suis formé à ma manière, sur le tas, je ne souhaitais pas et ne pouvais pas me permettre financièrement de retourner sur les bancs d’école. J’ai toutefois participé à de nombreux ateliers d’écriture et acquis de nouvelles capacités rédactionnelles. En 2015, je suis devenu entrepreneur. J’écris sur et pour les sciences, notamment les neurosciences et la médecine, mais j’ai aussi souhaité agrandir mon champ d’actions.
Une partie de mon travail de communication cherche donc aussi à véhiculer les valeurs socioéconomiques du développement durable en s’adressant à la Cité – par le biais des Communes ou des réseaux de proximité, par exemple.
Cette activité est en lien direct avec la coopérative d’entrepreneur·e·s salarié·e·s que j’ai co-créée – neonomia.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est une coopérative d’entrepreneur·e·s salarié·e·s ?
La crise du coronavirus a révélé au grand jour à quel point le statut d’indépendant·e en Suisse est précaire. Par exemple, les indépendant·e·s cotisent à l’assurance chômage, mais n’ont pas droit à toucher des indemnités chômage en cas de coup dur. Assurance perte de gain, deuxième pilier, toutes ces prestations sont en outre chères, voire inaccessibles. C’est suite à ces constats que nous avons fondé neonomia avec des personnes d’autre milieux professionnels. C’est une autre étape importante dans ma carrière. La coopérative réunit actuellement une trentaine d’entrepreneur·e·s, salarié·e·s par la coopérative, mais libres d’entreprendre. Cela leur permet d’avoir les mêmes droits qu’un ou une employé·e et d’être les acteur·trice·s de leur emploi.
Au sein de neonomia, nous partageons la gouvernance et les mêmes valeurs, en vue de façonner l’économie de demain dans une perspective plus sociale, solidaire et durable.
Nous prêtons attention à la manière dont nous plaçons notre argent – par exemple dans le choix d’une banque ou d’une caisse de pension éthique. Nous mutualisons des services et des biens, nous accordons beaucoup de place à l’individu et à l’équilibre entre toutes les composantes de l’activité humaine. Cette coopérative s’adresse aux gens désireux d’évoluer dans un plus grand respect des écosystèmes, y compris le leur. Elle sort l’entrepreneur·e individuel·le de l’isolement dans lequel il ou elle se trouve souvent et permet de créer des synergies – entre des individus aux profils très variés qui ne se seraient pas forcément rencontrés autrement.
Par exemple, nous avons deux coopérateurs spécialisés dans l’écotourisme et l’idée est venue d’organiser des tours avec des thématiques scientifiques. La démarche neonomia, dans sa globalité, plaît beaucoup aux femmes entrepreneures : aujourd’hui, 75% des demandes pour nous rejoindre émanent de celles-ci.
Il y existe un vide juridique concernant le statut d’entrepreneur salarié en Suisse. Les Italiens l’ont inventé, et, aujourd’hui, c’est en France qu’il est le plus répandu – le statut d’entrepreneur salarié est désormais reconnu dans le Code du travail français. Notre mission est aussi de promouvoir ce nouveau mode de fonctionnement. Je consacre beaucoup de temps aux activités liées à la coopérative, en contribution volontaire.
Et tu consacres le reste de ton temps à la vulgarisation responsable ?
Ma motivation, c’est de donner des clés à la population pour que celle-ci puisse prendre des décisions en toute conscience : lorsqu’elle est appelée à voter par exemple ou lorsqu’elle doit décider de se faire vacciner ou non.
Chacun·e peut toujours être pour ou contre, mais toute personne doit bénéficier de l’ensemble des données nécessaires pour déterminer son choix.
La pièce centrale de ma démarche actuelle l’était déjà lorsque je faisais de la recherche. Ce qui comptait pour moi n’était pas de grimper dans la hiérarchie ou de multiplier les publications, c’était la création des savoirs et des connaissances pour le bien commun. Être rémunéré pour cela, c’était une chance fantastique. Et, dans cette nouvelle étape de ma vie, pouvoir transmettre ces savoirs et ces connaissances est une continuation logique. Les scientifiques doivent aussi écouter la société, et c’est aussi le rôle des communicants que de faciliter ce dialogue.
Si on veut bien faire notre travail en tant que journaliste scientifique, on n’a pas d’autre moyen que de se baser sur le même système de validation des connaissances que les scientifiques : la publication des résultats dans des revues scientifiques. C’est un moyen de vérifier l’information. Cela s’est révélé, par exemple, au printemps 2020 lors de la polémique concernant la chloroquine comme traitement de la Covid-19, car les études n’avaient pas été validées par les pairs. J’ai fait le choix de toujours baser mes articles journalistiques sur des informations scientifiquement prouvées.
La communication a-t-elle un rôle à jouer pour placer la santé mentale à l’ordre du jour ?
Nos sociétés ont longtemps opposé santé physique et santé mentale. Enfin, on s’intéresse davantage à la santé mentale. La crise que nous traversons (ndlr : la pandémie de Covid-19) a permis une certaine évolution : la santé mentale, notamment celle des jeunes, commence à être prise en considération.
Notre rôle en tant que communicants scientifiques est de faire connaître l’état des recherches dans le domaine, de faire sortir toutes ces connaissances du laboratoire ou de la clinique. Il est aussi nécessaire d’orienter les gens en souffrance vers les services en place. Pendant la crise, toute l’attention était portée sur les lits de soins intensifs. Pourtant, en parallèle, il y a eu énormément de gens atteint par des troubles mentaux alors que les services dédiés étaient saturés, et ça, pratiquement personne n’en parlait. À terme, les spécialistes craignent même que les problèmes de santé mentale aient plus d’impact négatif que le virus lui-même.
Les maladies mentales sont bien sûr multifactorielles et, pourtant, les proches continuent de se sentir coupables de la maladie d’un enfant ou de la dépression d’un parent. L’une des manières de déstigmatiser la santé mentale est de relier celle-ci à ses origines biologique et génétique, et de mieux en définir les composantes environnementales. Le Pôle de recherche national Synapsy pour lequel je suis sous mandat s’y emploie.
Tu es également agent d’égalité des chances pour ce pôle de recherche, allié de la diversité dans le milieu académique ?
Le milieu académique est très concurrentiel, très hiérarchisé. Je ne me retrouvais moi-même pas du tout dans cette démarche qui stipule que pour pouvoir réussir il faut forcément écarter les concurrentes ou les concurrents et renoncer à sa vie privée pour optimiser son temps. Je ne me reconnaissais pas non plus dans les « qualités » qu’on attribue généralement au genre masculin – lutte, autorité, foncer sans faire attention aux autres. Je reconnais la stigmatisation dont les femmes et tous les genres qui ne se reconnaissent pas dans le schéma du « mâle alpha » sont victimes, partout et spécialement dans le milieu académique. Je me sens en cela pro-féministe.
Que cet esprit académique conservateur ne retienne personne d’entrer dans ce monde-là, car c’est une réelle chance d’être chercheur. Et les choses bougent petit à petit, les nouvelles générations changent cet état de fait de l’intérieur. Mon message aux jeunes serait : allez-y mais avec un autre état d’esprit, c’est impératif ! Faites en sorte que les schémas évoluent. Tout est possible !
Les pôles de recherche nationaux ont mis de nombreuses mesures d’aides financières en place pour, par exemple, financer le gardiennage lors de participations à des conférences ou payer les trois premiers mois de crèche pour les familles de post-doctorant·e·s.
Mais ces mesures n’ont pas vraiment de succès, pour la simple raison que les gens n’osent ou ne veulent pas les solliciter. Alors, nous nous tournons davantage vers la valorisation de rôles modèles pour les nouvelles générations. C’est une approche en laquelle je crois beaucoup et ce qui peut se faire de mieux actuellement en termes de promotion de l’égalité.
Dans ma vie familiale enfin, j’essaie d’éduquer mes enfants hors des stéréotypes de genres.
On cantonne femmes et hommes dans des stéréotypes qui ne leur correspondent pas. Il faut réinventer les modèles, tout changer en fait !
L’important, c’est que des solutions existent, le monde est en mouvement perpetuel. C’est l’attitude que j’essaie de transmettre à mes enfants.